L’échéance approche. Dès 2020, les nouvelles constructions devront produire plus d’énergie qu’elles n’en consomment. Pour ces futurs bâtiments à énergie positive (Bepos), le photovoltaïque s’impose. Une technologie que bureaux d’études et entreprises générales doivent intégrer à leur métier pour mieux coordonner, déployer et optimiser les installations photovoltaïques. Valérick Cassagne, de Total Solar, partage avec nous son expertise.
Vous dirigez le département Solutions photovoltaïques Industriel & Commercial de Total Solar. Quel marché se dessine pour le photovoltaïque en milieu urbain ?
Valérick Cassagne – Il y a vraiment deux mondes : le monde d’aujourd’hui et le monde d’après 2020. La réglementation thermique RT 2020 n’est pas encore écrite et je pense que cela va être long et douloureux. Il y a des vents contraires assez importants… Mais on verra d’ici là.
Aujourd’hui, E+C- [NDLR : le label pour un bâtiment à énergie positive et réduction carbone] est moyennement pris en charge, et tout le monde ne comprend pas très bien comment ça marche, c’est un peu compliqué. Du coup, la plupart des projets en milieu urbain sont, je dirais, des projets un peu « visionnaires ». Soit ce sont des projets emblématiques : il y a une sorte de mouvement « Je veux intégrer du solaire dans mon bâtiment », et là il y a autant d’architecture que de technique. Soit il y a quand même une approche économique, comme ce que fait Bouygues Immobilier : eux intègrent du solaire et des performances énergétiques exceptionnelles pour valoriser le bâtiment, et pour changer l’équation entre le prix du bâtiment et le prix du loyer. Cela leur permet d’augmenter le prix du bâtiment. L’acheteur, lui, pourra dire à son locataire : « J’augmente le prix du loyer car les charges énergétiques seront moins importantes. »
On a longtemps dit que le photovoltaïque revenait plus cher que le nucléaire, à la consommation. La tendance s’est-elle inversée ?
V. C. – En fait ça dépend. Si vous faites des projets à Marseille et à Dunkerque, vous n’aurez pas le même coût puisque, à coût d’installation égal, l’installation produira plus ou moins.
Il faut quand même noter que sur des bâtiments neufs, on peut obtenir des coûts très attractifs. Parce que si l’on réfléchit à l’installation photovoltaïque dès le début, à partir du moment où l’on a une parcelle (il faut travailler avec l’architecte et le promoteur du projet ou le maître d’ouvrage), alors on va trouver le meilleur dimensionnement photovoltaïque, le meilleur endroit pour le placer, etc. Et dans un deuxième temps, on va optimiser la conception du bâtiment pour bien prévoir le photovoltaïque. Là, on pourra faire des économies substantielles.
Aujourd’hui, on se rend compte que le prix des modules [NDLR : le module photovoltaïque est le panneau solaire] a extrêmement baissé. Par rapport à mes débuts de carrière dans le photovoltaïque, où l’on était à 3 ou 4 euros le watt, aujourd’hui on parle de moins de 30 centimes. Lorsqu’on fait une installation, donc, le module compte, évidemment, mais le coût d’installation, le coût des structures pour la pose, le câblage, etc., sont pour ainsi dire « LE » sujet. Et si l’on a une conception intelligente du bâtiment, non seulement on va avoir une bonne performance – on pourra bien collecter la lumière, il n’y aura pas d’ombrage, on aura dimensionné au mieux par rapport au besoin du consommateur –, mais tous les coûts annexes en dehors du module et des onduleurs seront également abaissés – pour l’ingénierie, la pose, le câblage… Le coût d’un module n’est plus grand-chose dans le coût d’une installation globale.
L’architecte et le maître d’ouvrage ont donc un rôle essentiel à jouer dès le départ. Selon vous, pourra-t-on se passer du photovoltaïque à partir de 2020 ?
V. C. – En urbain, non, sauf à avoir un peu de géothermique ou du chauffage urbain. Mais aujourd’hui, le plus grand besoin énergétique, c’est l’électricité. Le chauffage, ça compte, mais les bâtiments sont devenus tellement performants que les parties chauffage et climatisation deviennent moins importantes, si l’on compare avec l’éclairage, les auxiliaires et l’usage habituel de l’énergie dans le tertiaire ou dans la vie de tous les jours pour le résidentiel.
Dans le résidentiel, justement, la consommation devient très forte à partir de 18 heures, par exemple, en décalage par rapport aux horaires d’ensoleillement. La question du stockage de l’énergie et de la disponibilité se pose…
V. C. – Effectivement, le tertiaire est plutôt en phase, le résidentiel est plutôt déphasé. Dans le tertiaire, il faut aussi savoir que plus il fait beau et chaud, et plus les climatisations consomment. On peut faire du stockage et travailler aussi sur les smart grids, pour mutualiser les demandes entre le résidentiel et le tertiaire et les bâtiments publics.
Et ça fonctionne aujourd’hui, cette demande énergétique située à trois bâtiments de là, entre le lieu de production et le lieu de consommation ?
V. C. – Oui, parce qu’on peut mieux prévoir, c’est déjà un point important. Mais, pour nous, il y a un challenge réglementaire. Dès qu’on passe par la partie publique du territoire, il y a des monopoles qui ne sont pas forcément favorables à faire de l’échange inter-bâtiment ou consommateur-producteur. C’est l’un des résultats du travail sur le projet IssyGrid : il faudra sans doute aussi retravailler la réglementation pour faciliter une boucle plus locale de l’énergie, permettre du peer-to-peer ou des arrangements locaux.
Est-ce que les entreprises « tout corps d’état » ou les électriciens ont un rôle à jouer dans le déploiement, ou au contraire tout leur sera-t-il imposé ?
V. C. – Je pense qu’ils ont leur mot à dire parce qu’aujourd’hui, dans un projet photovoltaïque, on fait souvent un bâtiment et, ensuite, on ajoute du solaire. Du coup, on ne peut pas faire intervenir du « tout corps d’état » et des métiers séparés : on va faire venir un photovoltaïcien qui va gérer la partie mécanique, la partie électrique et puis la partie réglementaire, etc.
Mais on peut imaginer – et c’est l’un des modèles que l’on pousse – de redécouper le photovoltaïque par métier. Il y a deux ou trois projets PV que l’on a réalisés en les découpant, où l’on a confié une partie au charpentier, une partie à l’électricien, une partie au Tous corps d’état. Parce que c’est comme ça qu’on fait des économies.
Un exemple : quand, nous, nous devons tirer des câbles, par exemple des onduleurs jusqu’au TGBT [tableau général basse tension, NDLR], pourquoi l’électricien du bâtiment ne tirerait pas lui-même ces câbles ? Ce sera un câble parmi d’autres, et donc le coût marginal sera faible. L’idée, c’est vraiment de transformer tous les morceaux du photovoltaïque en coûts marginaux pour chaque corps de métier.
Un grand classique, aussi, quand on monte le projet, surtout en milieu urbain où les bâtiments sont plutôt verticaux, lorsqu’on va vouloir monter les panneaux et les onduleurs en toiture : on doit utiliser la même grue que celle du bâtiment plutôt que d’en relouer une. Le prix du module ayant fortement baissé, le reste commence à compter beaucoup. Il faut maintenant s’intéresser aux coûts accessoires pour rendre le photovoltaïque encore plus attractif.
Et il faut donc se coordonner avec le maître d’œuvre ?
V. C. – Bien sûr. Peut-être connaissez-vous la notion de BIPV, le Building Integrated PhotoVoltaic, c’est-à-dire l’intégration physique du photovoltaïque dans le bâtiment ? Nous, on parle plutôt de BIP²V, donc de Building Integrated Project PhotoVoltaic, parce qu’on s’intègre au tout début du projet, lors de la conception du bâtiment, pour savoir où on met le PV et à quelles dimensions, car s’il est trop gros, on surproduit et l’énergie n’est pas valorisée, et s’il est trop petit, les coûts fixes ne sont pas absorbés.
En milieu urbain, où la surface est très précieuse, on se rend compte qu’il vaut mieux serrer les modules et les mettre plus à plat. On ne va pas prendre l’angle optimum théorique des énergéticiens, on mettra des modules beaucoup moins inclinés pour toujours pouvoir les drainer et les nettoyer avec la pluie, mais on va les densifier pour obtenir l’optimum énergétique et économique.
En toiture, il y a la clim, les cages d’ascenseur, la partie ventilation et accessoires en tout genre, il est donc important, au début du projet, avec l’architecte et les bureaux d’études fluides, de voir comment on gère l’espace.
Pour finir, quels sont, selon vous, les volumes qui seront installés ou produits à partir de 2020 ? Vous avez dû faire des projections…
V. C. – Oui, on parle de plus de 1100 MW par an en Europe.